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Les premiers pas de l'art culinaire

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Publié le 01 avril 2022

Le Néolithique est le Nouvel Âge de Pierre, une appellation qui traduit le fait que les éléments de la culture néolithique qui forment le gros des découvertes sont essentiellement des éléments lithiques, parfois osseux et plus rarement ligneux. C'était déjà le cas pour la période précédente du Paléolithique : la « nouveauté » vient de ce que les outils en pierre sont désormais polis, et non plus façonnés par la taille comme auparavant.

La fabrication de ces nouveaux outils présentait certes un grand avantage. En effet, malgré leur dextérité, les tailleurs de pierre paléolithiques courraient toujours le risque de se taper sur les doigts, ce qui, comme chacun sait, est très douloureux. Polir le matériau évitait ce genre d'accident. L'utilisation d'outils en pierre polie a néanmoins dû poser quelques problèmes d’adaptation culturelle car la nouvelle technique avait aussi ses inconvénients. Par exemple, dans le domaine de la cuisine, couper de la viande avec un couteau en pierre polie est certainement plus ardu qu’avec le tranchant d'un silex taillé. Aussi, quoiqu'elle soit restée majoritaire à cette époque, l'alimentation carnée a vraisemblablement diminué. L’essor de l’agriculture trouve peut-être là son origine, en dehors du fait que chasser un mammouth chaque matin pour le petit déjeuner était devenu quelque peu fastidieux pour des gens qui avaient opté pour la sédentarité. Le progrès et la modernité ont de ces exigences. Et que dire des restes alimentaires ? Nous n'avons guère de chance d’en retrouver. Il y a bien sûr des exceptions, comme la découverte de miettes de pain par des archéologues sur le site du désert de Wadi Rum, dans le nord-est de la Jordanie. Nous pouvons en outre nous faire une idée du régime alimentaire de nos ancêtres grâce aux recherches sur l'usure de leurs dents. 

C’est dans ce contexte que la découverte sur le site de Villevenard « La Pâture de Voisy » (Marne) en octobre 2019 a révélé un goût très particulier. Après des prospections pédestres réalisées en 2015, le site de Villevenard « Les Hauts de Congy » a fait l’objet, en 2017, d’une évaluation en 95 tranchées. Ces sondages ont été suivis de deux campagnes de fouilles, en 2018 et 2019. La totalité des surfaces décapées s’est avérée positive. Il s'agit de fosses d’extraction de silex qui exploitaient un banc constitué de nombreuses dalles de roche. Comme le souligne Rémi Martineau, du CNRS, « c’est la première fois qu’une minière exploitant le silex tertiaire est mise en évidence en Champagne-Ardenne. Le potentiel exploitable est tout à fait considérable. (…) Les couches archéologiques ont malheureusement été en partie détruites par les remaniements récents du terrain. Elles sont toutefois conservées dans certaines zones, notamment dans la partie inférieure, au niveau des fosses d’extraction. Des études pétrographiques, paléontologiques et géochimiques sont en cours (...) afin d’établir les phases d’exploitation et les cartes de diffusion de cette matière première. L’étude du mobilier lithique et les datations radiocarbone des charbons permettront de préciser la période d’exploitation de cette minière de silex. Des milliers d’éclats de taille ont été retrouvés dans les remblais, mais aussi dans les couches en place. Il s’agit principalement de grands éclats de dégrossissage des blocs extraits, de quelques fragments de lames, mais aussi sans doute des éclats d’épannelage des nucléus. L’étude du mobilier lithique permettra de caractériser les méthodes de débitage mises en œuvre sur le site. Associée aux datations radiocarbone, la caractérisation de ces productions permettra de dater la période d’exploitation de ce gisement de silex.1 »

Près de 1300 structures ont été relevées sur plan, dont un très bel habitat néolithique. Par manque de financement, certains prélèvements n’avaient pas pu être analysés. C’est désormais chose faite et c’est heureux car les résultats surprenants nous permettent de reconsidérer nos connaissances des pratiques culinaires. Les fouilles de cet habitat ont révélé un espace dévolu à la cuisine. Sans doute y préparait-on les repas pour les carriers qui extrayaient le silex. Peut-être faut-il voir là une répartition des tâches telle qu'elle s'est perpétuée jusqu'à la Grande Guerre. 

Parmi les vestiges, l'attention s'est particulièrement portée sur un plat de terre cuite calciné qui contenait des résidus de... pâtes. Si vous pensiez qu'elles venaient de Chine et avaient été adaptées avec talent par les Italiens, vous aviez tout faux : il semble bien qu'elles soient d’origine champenoise. Les pâtes de Villevenard étaient faites à partir d'une variété ancienne de blé dur mais il nous faut toutefois tempérer notre enthousiasme : il se peut que cet usage du blé soit plus large que le seul département de la Marne, bien que nous n'ayons pas à ce jour d’autre élément tangible pour l'affirmer. La Champagne et les régions voisines ont de tout temps été de gros producteurs de céréales. Il n'est pas sans intérêt de rappeler que César a largement puisé dans les récoltes de blé des tribus gauloises de Belgique et que Pline l'Ancien mentionne la moissonneuse (vallus) mise au point par les Rèmes et les Trévires2. Comme quoi, toute proportion gardée, un plat raté peut changer la face de l’histoire de la gastronomie. C'est d’ailleurs plus fréquent qu’on pourrait le penser : il est bien connu que la célèbre tarte des sœurs Tatin vient du fait qu’une de leurs tartes aux pommes leur a échappé des mains et s’est retrouvée retournée par terre. Quant à la vedette de notre raté culinaire néolithique, les pâtes étaient de forme oblongue, un peu à la manière des spätzle alsaciens. Il a sans doute fallu beaucoup de temps et bien des essais pour parvenir à la forme sublimée esthétisante du spaghetti. Les études se poursuivent pour essayer de déterminer à quelle sauce ce plat était accommodé. Certes, pas de tomate à l’horizon pour l’instant, mais d'intrigantes taches rougeâtres relevées sur le site sont en cours d’analyse.

La découverte de sauce tomate sur un site néolithique champenois ne manquerait pas de bouleverser les conceptions actuelles de la dérive des continents. En effet, si ce fruit que l’on pense venir des Amériques se trouvait déjà depuis longtemps en Europe, cela peut vouloir dire que la plaque tectonique d'Amérique du Sud était accolée à la plaque eurasiatique. Il est temps que l’on balaie tous ces a priori que l’on tient trop facilement pour acquis. Ils nous viennent du XIXe s., une époque où les savants se sont imaginé pouvoir expliquer le monde de façon objective et rationnelle. Le XXe s. n'a fait que renforcer cet obscurantisme présomptueux et l'ancrer si fortement qu'il est difficile aujourd'hui de le contester sans paraître iconoclaste. Les nouvelles tendances du XXIe s. vont heureusement ébranler tout cela. Certains esprits éclairés n’ont-ils pas récemment redécouvert, pendant les longues heures d’oisiveté occasionnées par le confinement du Covid, que notre Terre est plate ? Dire qu'on nous a fait croire depuis si longtemps qu’elle était ronde ! Absurde ! Mais voyez comme les vérités élémentaires subsistent insidieusement malgré le diktat de pseudo-scientifiques : l’idée de la platitude de notre planète est restée dans l’expression « aux quatre coins du globe », ou encore dans la dénomination du Finisterre. Le hasard pourrait fort bien faire que les études ultérieures de la « cuisine » de Villevenard fasse apparaître un autre fruit à pépins. Tous les espoirs sont permis : il ne serait pas surprenant, maintenant que les œillères nous ont été retirées, qu'on y découvre des traces de piments, de fraises, d'ananas ou d'avocats. Cela fera l’objet d’une mise à jour de cet article.

Le Néolithique est aussi la période de l’apparition de la céramique. Et c’est bien un plat en terre cuite qui a traversé 6000 ans d’histoire. Il contenait des pâtes de blé dur parfaitement carbonisées, à défaut d’être carbonara. Ce récipient est tellement calciné qu’il en est vitrifié. Le moins que l'on puisse dire, c’est que le temps de cuisson de ces pâtes a été fortement surévalué. En l'état actuel de l'étude des résultats de ces fouilles, c'est tout ce que nous savons. Mais ces fouilles ont permis une autre avancée importante : il s'avère que l’usage de la glaçure est beaucoup plus ancien que ce que l'on pensait jusqu'ici et qu'il doit être mise au crédit de ces temps d’innovations. Pour la plus grande joie des archéologues, l’ensemble, contenant et contenu, est parti à la poubelle, une autre nouveauté de l'époque, avant qu'elle ne soit reprise au XIXe s. par le Préfet de la Seine Eugène Poubelle. Cette découverte relègue la Chine et l’Italie à de simples places d’honneur, tout le mérite en revenant à nos ancêtres pas encore gaulois.

  • 1. Pour plus de détails sur ces fouilles voir : Rémi MARTINEAU, Une nouvelle minière de silex à Villevenard, https://saintgond.hypotheses.org/category/recherches/fouilles-archeologi...
  • 2. Les plus belles représentations sont au Musée Archéologique d'Arlon et au Musée Gaumais de Virton, en Belgique. La moissonneuse gauloise est aussi représentée sur un bas-relief très érodé d'une voûte de la Porte de Mars de Reims.
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