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Deux enceintes romaines. Saverne

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Saverne est située au pied d'un col qui permet franchir les Vosges facilement. Depuis les temps préhistoriques, il met en relation le plateau lorrain et la plaine d'Alsace, et l'Europe centrale au delà. Ce passage de première importance, en particulier pour le commerce du sel de la vallée de la Seille, fut protégé dès l'Age du Fer par système de défense que les Médiomatriques reprirent ensuite.

 

 

 

 

 

 

Le réseau routier qu'Agrippa mit en place à partir de 27 av. J.-C. conserva au col toute son importance. Les voies de Metz et de Trèves vers Strasbourg l'empruntaient. Au sommet se trouvait un relais, dont le nom actuel d'Uspann traduit bien la fonction. De là, une rampe de quatre km de long gagnait un autre relais, Tres Tabernae1, Tabernis2, aujourd'hui Saverne.
Le nom Tres Tabernae suggère une division du bourg en trois. Le noyau primitif semble avoir été dans la ville basse, à la jonction des rues de la Gare et du Bœuf avec la Grand Rue. Un autre établissement, à peu près contemporain, se situait près du carrefour de la Grand Rue avec les rues des Clefs et St Nicolas. A partir du IIe s., les habitants se déplacèrent vers la ville haute, sans doute à cause des fortes crues de la Zorn.
Après les destructions entre 160 et 180, un fortin fut aménagé dans la partie sud-est de la ville haute, en bordure de la voie principale. Le vicus fut encore détruit en 235, 275 et 280, à la suite des troubles politiques de l'Empire Romain et de nouvelles invasions. C'est probablement à la fin du IIIe ou au début du IVe s., sous Constantin, qu'une enceinte enferma le bourg et le transforma en castrum

L'enceinte romaine avait un périmètre de 1000 m environ. Sa forme était approximativement celle d'un quadrilatère : les fronts nord, est et sud sont rectilignes, mais le front ouest s'incurve vers l'extérieur pour enclore toute la déclivité du terrain. Le mur comprenait au moins 36 tours rondes, placées à cheval sur le mur ; les quatre tours des angles principaux étaient d'un diamètre plus fort que les autres. Sur le côté nord, déjà protégé par la Zorn, les tours étaient espacées d'environ 36,7 m. Elles étaient plus resserrées sur les autres côtés : 26 m, et même 25 m à l'est.
Le mur romain est construit en grand appareil3. Comme souvent, la construction a remployé les matériaux de monuments antérieurs. La courtine avait au moins 8 m de haut ; son épaisseur à la base était de 3,5 m. L'enceinte ne comprenait que deux portes, au nord et au sud.

Sur la berge sud de l'actuel canal de la Marne au Rhin, le côté nord avait une porte centrale, à la jonction de la Grand Rue et des quais. Il alignait trois tours de chaque côté du passage4. Le mur est passe sous le corps principal du château des Rohan ; il forme le mur extérieur des bâtiments de la sous-préfecture et du tribunal (voir logo de l'article). Neuf tours garnissaient ce flanc. Le côté sud est le plus petit. La porte se trouve à l'extrémité sud de la Grand Rue, avec trois tours à l'est et quatre à l'ouest. Le rempart ouest est ponctué de onze tours. Il faut encore ajouter les quatre tours qui consolidaient les angles du castrum.
C'est du côté ouest que l'enceinte est le mieux visible de nos jours, notamment à l'arrière de la rue des Murs et route de Paris. Ailleurs, le mur se laisse deviner par des alignements ; on le voit assez bien à l'est, en soubassement de la sous-préfecture et du tribunal, où subsistent des tours ; la partie est du côté sud existe encore, avec une tour sous la conciergerie du tribunal, mais il est difficile d'y accéder5.

La ville moyenne et la ville basse restaient donc sans défense. La grande voie romaine entrait par la porte nord, traversait le castrum et en ressortait par la porte sud. Ainsi fortifié, le bourg constituait un véritable verrou défensif commandant l'accès à la Gaule. Ammien Marcellin le confirme : en 357, le César Julien restaura les défenses de la ville détruites par les Alamans ; cette forteresse interdisait ainsi le passage des Germains vers la Gaule.

 

L'enceinte médiévale reprit d'abord le mur romain, ses tours et ses portes. La ville moyenne et la ville basse furent enfermées à leur tour au XIVe s., sans doute en deux fois, ce qui expliquerait le mur intérieur qui les sépare. L'appareil est en blocs de grès régulièrement taillés et posés en lits horizontaux. Un fossé d'eau bordait cette nouvelle enceinte.
Aux deux portes romaines, appelées désormais Obertor (au sud) et Mitteltor (au nord), s'ajoutèrent la Brucktor, sur la Zorn, entre ville basse et ville moyenne. Celle-ci fut aussi pourvue de deux nouvelles portes : au nord-ouest la Rosspfuhltor, et à l'ouest la Porte du Griffon, au début des routes qui mènent aux châteaux du Haut Barr et du Greiffenstein. La Bergtor de la ville basse commandait la route vers Phalsbourg.

Aujourd'hui, toutes les portes de ces fortifications médiévales ont disparu. Seuls subsistent des alignements de maisons, des fragments du mur et des tours.

  • 1. Chez Ammien Marcellin.
  • 2. Sur la Table de Peutinger.
  • 3. Il est surmonté aujourd'hui de l'appareil plus petit de la reprise médiévale.
  • 4. Le nombre de tours sur chaque côté reste approximatif.
  • 5. Je remercie vivement le concierge du tribunal et sa famille de m'avoir aimablement permis de photographier cette tour et d'entrer dans la chambre circulaire qui occupe ses niveaux supérieurs.

Référence à citer

Marc Heilig, Deux enceintes romaines. Saverne, archeographe, 2003. https://www.archeographe.net/Deux-enceintes-romaines