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Les hameaux gallo-romains du piémont des Vosges.

La population qui, à partir de l'occupation romaine, s'est installée sur les sommets des Vosges, entre Sarrebourg, Saverne et le Donon, était encore très imprégnée de traditions celtes. Ce sont des Médiomatriques ou des Triboques1. Ce type d'occupation est encore mal connu, mais contrairement à ce que l'on a d'abord pensé, il est fort commun partout en Gaule car la romanisation ne fit pas disparaître le fonds culturel celte.

Chapiteau historié. Grès. Troisfontaines, Haute-Valette.Les stations du piémont vosgien sont toutes sur le versant occidental du massif, où le grès est d'excellente qualité2. Les mieux connues sont celles de Neuve-Grange, du Saveux et de la Croix-Guillaume près de Saint-Quirin3, entre la Sarre blanche et la Sarre rouge ; du Freiwald entre Sarre rouge et Zorn ; du Wasserwald et du Limersberg sur la rive droite de la Zorn. Il faut également citer le Kessel, les Froeschen, le Ballerstein, le Hochwald, les Trois-Saints et Altdorf, dont l'étude doit encore se poursuivre.On ne sait comment ces populations sont venues occuper ces terres peu fertiles, mais il est peu probable qu'il faille y voir un projet romain. Les parcellaires que révèlent les fouilles sont en effet trop irréguliers. Ces stations ont peut-être été fréquentées dès l'époque gauloise mais elles n'en ont livré aucune trace : toutes s'inscrivent dans une fourchette chronologique allant de 20 à 190 ap. J.-C. environ4. Toute activité semble y cesser au début du IIIe s. : rien n'y rappelle les invasions que subit la plaine par la suite. L'abandon vient peut-être de la perte des débouchés5.Durant cette période, le grès et le bois furent des matériaux fort demandés car la plaine se couvrait de villae et de bourgs.  Le grès était extrait dans de véritables carrières, qui sont souvent le noyau de l'agglomération. Le Limersberg, près de Hultehouse, et la Croix-Guillaume à Saint-Quirin en sont deux beaux exemples : on peut toujours y voir les marques de ciseaux des carriers et comprendre leurs techniques d'extraction.Aux alentours se trouvaient les ateliers des tailleurs de pierre6.

Stèle funéraire inachevée. Grès. Ie-IIe s. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole.Stèle funéraire inachevée, détail d'un côté. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole.

Les habitants des sommets vosgiens exploitaient aussi le bois pour le chauffage et la construction. Ils écoulaient ces matériaux dans la plaine. Cela nécessitait des moyens de transport et des voies de communication. Un réseau très dense de chemins reliait les hameaux entre eux et à la plaine7.Pour leurs besoins, ces gens pratiquaient une petite agriculture et un peu d'élevage. Il leur fallut pour cela défricher et aménager en terrasses des terres peu fertiles8. Ils participaient aussi au commerce local : les fouilles mettent au jour des vases sigillés de la Gaule du Sud, de la verrerie, des bijoux... Tout cela dénote une société à l'abri du besoin9.Les plus grands de ces hameaux étaient organisés comme des villages10. Les habitations étaient en général à l'intérieur d'une petite propriété clôturée11. Une ou deux pièces composaient tout l'espace habitable ; comme il est souvent d'un niveau plus bas que le sol extérieur, on y accédait par quelques marches. Deux habitations plus vastes ont été retrouvées au Wasserwald et à Saint-Quirin, de 4 et 5 pièces respectivement : elles sont à peu près au niveau de l'extérieur et leur entrée était marquée par un seuil.
Le grès et le bois servaient à la construction des maisons. Le solin de pierre sèche ne s'élevait guère au-dessus d'un mètre. Assez régulièrement, des poteaux de bois étaient fichés dans des socles mortaisés. Les cloisons étaient faites de planches ou de claies, protégées par des bardeaux ou de l'argile. La toiture était en bardeaux, parfois en tuiles. Le foyer constituait l'élément important de l'intérieur de la maison ; pour le reste, nous devons imaginer un mobilier en grès et en bois.

Autel. Grès. Saint-Quirin, Deux-Croix.

Ces hameaux disposaient de lieux de culte et de nécropoles. Jupiter protégeait la famille. Sa statue en cavalier terrassant l'anguipède se dressait en haut d'une colonne ou d'un mât sur l'aire cultuelle devant les maisons. Ces groupes étaient sculptés sur place. En certains endroits, on en a retrouvé plusieurs, qui ont put être érigés successivement.

Groupe de Jupiter à l'anguipède. Grès. St Quirin, Croix-Guillaume.Groupe de Jupiter à l'anguipède. Grès. St Quirin, Croix-Guillaume.Buste de Jupiter cavalier. Grès. Hommert.Buste de Jupiter cavalier. Grès. St Qurin, Croix-Guillaume.Tête de Jupiter cavalier. Grès. St Quirin, Deux-Croix.Tête du cheval d'un groupe de Jupiter à l'anguipède. Grès. Saint-Quirin, Deux-Croix.Tête de Jupiter cavalier. Grès. St Qurin, Croix-Guillaume.

L'influence romaine ne détruisit pas non plus le panthéon celte. Sous de nouveaux noms et une apparence romanisée, les divinités conservèrent leur caractère. Toutefois, bien que les bas-reliefs religieux soient fréquents, on retrouve assez rarement les sanctuaires. On en connaît pourtant, comme celui de Walscheid-Ludwigsberg, où l'on vénérait Mercure et sa parèdre Rosmerta. Mercure est de loin la divinité la plus représentée12, parfois accompagné de Rosmerta.

Stèle de Mercure. Grès. Walscheid, sanctuaire du Ludwigsberg.Stèle de Mercure, détail. Grès. Walscheid, sanctuaire du Ludwigsberg.Stèle de Mercure. Grès. Hultehouse, Limersberg.Stèle de Mercure. Grès. Hultehouse, Limersberg.Stèle de Mercure. Grès. Garrebourg, Tiergarten.Stèle de Mercure. Grès. Garrebourg, Tiergarten.Stèle de Mercure et Rosmerta. Grès. Garrebourg, Tiergarten.

Les stèles nous offrent encore des représentation d'Abondance, de Jupiter, de Mars, de Rosmerta, ainsi que d'Epona qui, en particulier dans l'Est de la Gaule, est souvent associée aux rites funéraires.

Abondance. Grès. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, aire cultuelle.Stèle de Jupiter. Grès. Daint-Quirin, Deux-Croix.Stèle de Mars. Grès. Garrebourg, Kessel.Stèle de Rosmerta. Grès. Garrebourg, Kessel.Epona. Grès. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole, sépulture 49.Epona. Grès. Garrebourg, Tiergarten.

La couverture forestière qui a recolonisé les sites après leur abandon a bien préservé les nécropoles. Depuis le XIXe siècle, on a découvert de nombreuses stèles funéraires, qui témoignent de l'importance accordée aux défunts. Les fouilles récentes de Hultehouse, de Lafrimbolle et de Saint-Quirin nous ont beaucoup appris sur les usages funéraires. Le mort était incinéré ; ses ossements brûlés étaient déposés en pleine terre, avec un fond de vase brisé, ou recueillis dans une urne en céramique, en grès ou en verre.

Coffre funéraire. Grès. Troisfontaines, nécropole des Froeschen.Coffre funéraire. Grès. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole, sépulture 37.Urne inachevée. St-Quirin, Croix-Guillaume.Urnes funéraires. Verre. Hultehouse-Limersberg, nécropole, sépultures 49, 51.

La fosse était creusée dans le sol ou profitait d'une cavité de la roche. Un caisson de pierres, carré ou circulaire, protégeait parfois la sépulture, qui pouvait cependant prendre une forme plus élaborée, comme une cella ou un puits circulaire en entonnoir construit en pierres sèches.

Reconstitution d'une sépulture gallo-romaine. 40-70 ap. J.-C. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole, sépulture 28.

Le mobilier d'accompagnement comprend des monnaies et des vases qui contenaient de la nourriture. Une partie du dépôt funéraire diffère selon qu'il s'agit d'un homme (couteaux de chasse, épieux, outils...) ou d'une femme (fusaïoles, fibules, bijoux, perles...). Selon un rite qui semble fréquent, on joignait aux ossements un ou plusieurs clous, ou un gond de porte. La terre de remplissage de la fosse contenait des vases brisés lors du repas funéraire.Dans les nécropoles, les tombes étaient d'ordinaire proches les unes des autres. Certaines tombes contenaient plusieurs incinérations, avec un entourage de pierres taillées. Ces petits enclos funéraires familiaux, carrés, semi-circulaires ou triangulaires, coûtaient sans doute cher et restent assez rares.En surface, on signalait la tombe de diverses façons, par exemple par un cippe en forme de pomme de pin ou un enclos. La stèle-maison, assez largement représentée dans l'est de la Gaule Belgique, est certainement le monument funéraire le plus caractéristique du piémont des Vosges. E. Linckenheld en a répertorié les nombreux aspects, qui vont de la niche et de la cabane à l'obélisque et à la pyramide tronquée.

Stèle-maison. Grès. Walscheid, sanctuaire du Ludwigsberg.Stèle-plaque à décor de pampres et de grappes de raisin, face avant. Grès. Ie s. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, carrière 1.Stèle en bâtière. Grès. Ie-IIe s. Saint-Quirin, Croix-Guillaume, nécropole.Stèle-maison. Grès. Plaine de Walsch, Judenfeld.

Le bas-relief avec portrait du défunt représente la forme la plus achevée.

Stèle funéraire. Grès. Lafrimbolle, nécropole de La Neuf-Grange.Stèle funéraire. Grès. Lafrimbolle, nécropole de La Neuf-Grange.Stèle funéraire. Grès. Troisfontaines, nécropole des Froeschen.Stèle funéraire. Grès. Troisfontaines, nécropole des Froeschen.Stèle funéraire. Grès. Walscheid, nécropole des Trois-Saints.Stèle funéraire. Grès. Hultehouse, nécropole du Limersberg.Stèle de femme. Grès. Garrebourg, Tiergarten.Stèle funéraire. St-Quirin, Croix-Guillaume.

  • 1. Avant la conquête romaine, le territoire des Médiomatriques allait jusqu'au Rhin. Auguste en retrancha une partie pour que s'y établissent les Triboques.
  • 2. Le grès du versant oriental, par contre, est mêlé de gravier, ce qui le rend impropre à la taille et à la sculpture.
  • 3. La mise en valeur du site de Saint-Quirin Croix-Guillaume est en projet. Cela prendra la forme d'un parcours, qui profitera de la proximité du GR 5.
  • 4. Les monnaies vont de Vespasien à Marc-Aurèle, la céramique de Claude-Néron à la fin des Antonins. Les stations de la région de Sarrebourg diffèrent ainsi de celles qu'on trouve plus au sud, à La Bure par exemple, où l'occupation est essentiellement d'époque gauloise.
  • 5. Les troubles de 170/180 affectèrent particulièrement la Gaule de l'Est. Toutes les villes, dans lesquelles la population avait trouvé refuge, en portent les marques.
  • 6. Dans les fouilles, ces ateliers se signalent par de nombreux éclats et par des blocs de grès dont la taille est inachevée à cause d'un défaut d'exécution ou d'une cassure.
  • 7. Certains de ces chemins existent toujours. Marcel Lutz suppose aussi qu'on transportait le bois par flottage.
  • 8. On observe encore dans les forêts de reconquête les murets qui délimitaient les champs et les fermes.
  • 9. Les régions reculées des montagnes en donnent sans doute une idée assez proche encore de nos jours.
  • 10. Au Wasserwald, sur le ban de Haegen, dans le Bas-Rhin, deux rues principales traversent l'agglomération et se croisent au centre ; elles sont bordées de murs, auxquels s'accolent des cabanes plus ou moins grandes.
  • 11. Les murs servaient de soubassement à une clôture de bois fixée de place en place dans des blocs de grès mortaisés.
  • 12. César, dans sa Guerre des Gaules, en faisait déjà la remarque.

Référence à citer

Marc Heilig, Le Musée du Pays de Sarrebourg, archeographe, 2005. https://www.archeographe.net/Le-Musee-du-Pays-de-Sarrebourg