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La dévotion à saint Étienne

Les Actes des Apôtres1 rapportent qu'Étienne fut accueilli comme diacre dans la première communauté chrétienne de Jérusalem. Il fut accusé de quatre blasphèmes2 et condamné à mort ; il avait en vain présenté sa défense devant l’assemblée du Sanhédrin. Lapidé vers 33, Étienne est le premier martyr chrétien, ce que traduit le nom d'Étienne le Protomartyr que lui a donné la tradition. Sa sépulture aurait été retrouvée en août 415 et la translation du corps à Jérusalem opérée le 26 décembre suivant. C'est le jour qu'a retenu l'Église pour l'honorer. La dévotion à Saint Étienne connut alors un essor considérable, particulièrement en Occident. Le récit que fait Saint Augustin de ses miracles dans La Cité de Dieu y a fortement contribué et fut encore amplifié par les hagiographes du Moyen Âge, notamment Jean de Mailly3 et Jacques de Voragine4. En faisant de Saint Étienne un saint thaumaturge, la légende engendra une profonde vénération au sein de la chrétienté. Plusieurs évêchés de France lui ont ainsi dédié leur cathédrale5, comme Toul et Metz dans notre région ; beaucoup de ces édifices remontent au Ve siècle.

Metz, évêché depuis la fin du IIIe siècle6, fut mise à feu et à sang par les Huns d'Attila le 7 avril 451. C'était le Samedi Saint, la veille de Pâques. Plus d'un siècle plus tard, Grégoire de Tours rapporte, dans son Histoire des Francs, que l'oratoire dédié à Saint Étienne avait été le seul monument épargné en ce triste jour7. En vertu de ce miracle, l'évêque y avait installé le siège de son pouvoir spirituel. On en sait peu sur ce bâtiment : il était orienté et se situait à l'emplacement du transept de la cathédrale, comme l'ont montré les vestiges de l'abside retrouvés lors des fouilles de 1970. Au VIIIe siècle, Pépin le Bref soutint l'évêque de Metz Saint Chrodegang pour y faire des travaux.

Entre 965 et 984, l’évêque Thierry Premier entreprit de reconstruire le sanctuaire primitif avec la participation financière des empereurs Otton Premier et Otton II. Cette cathédrale fut achevée par son successeur Thierry II et consacrée par lui le 27 juin 1040. Les fouilles de 1878-81 et 1914-15, dans la nef et le transept, en ont mis au jour les fondations On a pu constater que le bâtiment gothique se superpose en grande partie à cette cathédrale ottonienne, qui avait néanmoins trois travées de moins. Elle présentait une élévation caractéristique du style ottonien : nef avec bas-côtés, transept en saillie et deux tours, de part et d’autre de l’abside. La façade nous est inconnue mais on peut envisager une tour-porche, comme souvent dans cette architecture. C'est l'édifice qu'a imaginé le peintre messin Auguste Migette (1802-1884) sur le tableau qu'il réalisa en 18628, mais la cathédrale de Spire nous en donne peut-être une image plus ressemblante.


  • 1. Ac 6, 8–8, 3.
  • 2. Contre Dieu, Moïse, la Loi, et enfin contre le Temple de Jérusalem.
  • 3. Jean de Mailly, moine dominicain de Metz, a composé vers 1240 des légendiers qui racontaient la vie des saints dans une langue accessible à tous. Empreints de merveilleux et enrichis de nombreux détails, ils furent rapidement très populaires. Son œuvre fut largement diffusée, aussi bien en France qu'en Italie et en Angleterre, et servit à Jacques de Voragine pour rédiger sa Légende dorée. Outre son Abbreviatio in gestis et Miraculis Sanctorum sive summa de Vitis Sanctorum (Les Gestes et Miracles des Saints), Jean de Mailly est l'auteur d'une Chronique universelle, un genre très en vogue durant tout le Moyen-Âge.
  • 4. Le dominicain italien Jacques de Voragine (vers 1228–1298), qui fut archevêque de Gênes, auteur  d’une Chronique de la cité de Gênes, est surtout célèbre pour sa Légende dorée (Legenda aurea), qu'il rédigea en latin entre 1261 et 1266. L'ouvrage relate la vie de nombreux saints chrétiens et certains événements de la vie du Christ et de la Vierge selon l'année liturgique. Les récits de Jacques de Voragine puisent dans le fonds des hagiographes qui l'ont précédé et en reprennent la propension au merveilleux.
  • 5. Par exemple les cathédrales d'Agde, Agen, Auxerre, Bourges, Cahors, Limoges, Meaux, Périgueux, St-Brieuc, Sens, Toulouse, mais aussi la première cathédrale d'Arles.
  • 6. Selon la tradition, le premier évêque serait Saint Clément ; il aurait délivré les Messins du Graoully, le monstre qui les terrorisait.
  • 7. Étant donnée la date de l'invention des reliques de Saint Étienne, cet oratoire devait être assez récent. Voici le texte de Grégoire de Tours :

    Les Huns étant donc sortis de la Pannonie vinrent, dépeuplant le pays, à la ville de Metz, où ils arrivèrent, ainsi que quelques-uns le rapportent, la veille du saint jour de Pâques. Ils livrèrent la ville aux flammes, passèrent les habitants au fil de l'épée, et égorgèrent même les prêtres du Seigneur devant les autels sacrés. Rien n'échappa à l'incendie que l'oratoire de saint Étienne, premier martyr et diacre. Je n'hésite pas à raconter ce que j'ai entendu dire à quelques-uns sujet de cet oratoire. Ils rapportent qu'avant l'arrivée des ennemis ils eurent une vision, dans laquelle leur apparut ce pieux fidèle,le bienheureux diacre Étienne, s'entretenant avec les saints apôtres Pierre et Paul sur tous ces ravages, et disant : « Je vous conjure, mes seigneurs, d'empêcher, par votre intercession, que nos ennemis ne brûlent la ville de Metz car dans un endroit de cette ville sont les restes de mon pauvre corps ; mais plutôt que les habitants connaissent que je peux quelque chose auprès du Seigneur et que si les crimes du peuple se sont tellement accumulés que la ville ne puisse éviter l'incendie, que mon oratoire en soit au moins préservé. » Ils lui répondirent : « Vas en paix, très-cher frère; l'incendie ne respectera que ton oratoire. Quant à la ville, nous ne pouvons rien obtenir, parce que la volonté divine a déjà prononcé la sentence car les péchés du peuple se sont accumulés, et le cri de sa méchanceté est monté jusqu'en présence de Dieu. La ville sera donc consumée par cet incendie. » D'où il est hors de doute que c'est par leur intercession que dans la désolation de la ville l'oratoire est resté intact. (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 7 et suiv., vers 575.)

  • 8. Commencement de la république messine. Élection du premier maître échevin Amolbert en 1055. Ce tableau est conservé au Musée de la Cour d'Or de Metz.

Référence à citer

Marc Heilig, La Lanterne du Bon Dieu a 800 ans !, archeographe, 2020. https://www.archeographe.net/la_lanterne_du_bon_dieu_a_800_ans