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L'ouvrage d'art

 

L'aqueduc traversait ensuite la Moselle, entre Ars et Jouy-aux-Arches, par un pont-aqueduc à arcades. C'était un ouvrage considérable de 1 125 m de long environ, dont 630 m pour le lit de la rivière, soit plus de la moitié des arches. Aucun autre pont-aqueduc romain ne paraît atteindre de telles dimensions1, ni utiliser la seule déclivité pour franchir une vallée fluviale aussi large2.

Le pont comprenait entre 110 à 120 arches dont la hauteur suivait la dénivellation des versants3. Sur la colline de la rive gauche, on peut encore observer un ensemble de 3 piles et deux arcs, un autre de 6 piles et 5 arcs, ainsi qu'une pile isolée au bord de la D 6. Les plus hautes arches, au milieu du lit, avaient environ 30 m de haut pour une portée d'une douzaine de mètres4. Sur la rive droite, le soubassement d'un pilier émerge encore de la prairie ; plusieurs tronçons se trouvent sous les maisons de Jouy. Par dessus tout, on voit s'élever intacte, ou peu s'en faut, une volée de 18 piliers et 17 arcs5.

Les piliers carrés reposent sur un fort soubassement. Ils se rétrécissent progressivement jusqu'à la naissance de l'arc6.

Le blocage interne des piles est en calcaire de Gravelotte ; les pierres sont posées à plat dans un mortier à forte proportion de gravier de Moselle. La maçonnerie des parements est en opus vitatum7 d'une exceptionnelle qualité, le plus beau de toute l'architecture romaine8. Les moellons, en grès du plateau de Geai9, forment un petit appareil très régulier maçonné au mortier ; leur longueur10 est doublée aux chaînes d'angles. Les joints sont soulignés au fer et relevés d'un trait de peinture rouge11.

Le beau calcaire de Norroy-lès-Pont-à-Mousson est réservé aux impostes qui ceignent chaque pilier à la naissance de l'arc12. Leur galbe, élégant et sobre, constituait le seul décor du pont, dont elles relevaient la puissance architectonique. Sur les façades, elles formaient une horizontale que reprenaient les ressauts alignés d'une pile à l'autre et le marche-pied de la canalisation. L'entraxe des piles est de 9 m. Les arcs, en plein cintre13, sont composés de claveaux soigneusement taillés et disposés de façon à ce que leurs joints alternent.

  • 1. Aspendos : 1000 m ; Mérida : 827 m ; Ségovie : 818 m ; Arcueil : 330 m ; Pont du Gard : 275 m. Cf ADAM (J.-P.), La construction romaine, 1989, p. 266.
  • 2. Les aqueducs de Lyon franchissent la Saône par des siphons, solution peut-être adoptée pour d'autres aqueducs de Metz. C'est un parti qui semble pourtant avoir été choisi rarement : le plomb revenait cher, les soudures étaient fragiles et cela nécessitait une main d'oeuvre spécialisée. Cf ADAM (J.-P.), La construction romaine, 1989, p. 268.
  • 3. Lalance en restitue 15 sur la rive gauche, 75 au milieu et 20 sur la rive droite. Son hypothèse donne au moins une idée de la répartition de ces 110 arches.
  • 4. Toutes ont disparu.
  • 5. La route Nationale passe sous deux d'entre eux.
  • 6. Le nombre de ces rétrécissements diffère selon les auteurs mais, selon la place qu'elles occupaient, les piles n'étaient pas identiques et ont pu être traitées de manières différentes. Le dessin de la planche XVIII de l'ouvrage des Bénédictins marque 5 rétrécissements. Celui de A. Doell, en 1904, soit plus d'un demi siècle après les restaurations, en donne 6, plus un fort soubassement (Cf GRENIER (A.), p. 207). Les piles qui surplombent la Route Nationale à Jouy en ont 4, la dernière pile de la rive gauche encore en place en compte 6 au moins, comme on peut le voir sur nos photographies. Pour les mesures, A. Grenier se livre à des déductions hasardeuses à partir d'une photographie médiocre et en ramenant à nos mesures celles des Bénédictins. Sur son croquis, Doell donne 5,44 m de côté pour les piliers au niveau des fondations, 5 m à 4,17 m au dessus du sol, et 2,76 m au niveau du 6e rétrécissement.
  • 7. Cette mise en oeuvre des moellons, qui semble la plus logique et la plus conventionnelle, consiste simplement à disposer des pierres à profil rectangulaire et de même hauteur sur des assises horizontales, ce n'est somme toute qu'un appareil isodome ou pseudo-isodome de petites dimensions. Cf ADAM (J.-P.), La construction romaine, 1989, p. 147.
  • 8. La plus belle réalisation du genre est certainement le parement de l'aqueduc de Metz, encore visible au passage de la Moselle à Jouy-aux-Arches, où les maçons ont véritablement composé en moellons rectangulaires un appareil isodome aux assises égales et aux joints régulièrement alternés. Cette recherche de perfection était rarissime et, dans l'immense majorité des cas, c'est au rejointement que l'on demandait de créer l'illusion de la régularité. Cf ADAM (J.-P.), ibid. p. 150.
  • 9. Au dessus d'Ancy.
  • 10. 18 x 9 x 30 cm.
  • 11. Les joints entre moellons furent, en règle générale, plus fins au cours de la première moitié de l'Empire (1 à 2 cm), bien que cette règle soit loin d'être rigoureuse, mais l'espace était toujours suffisant pour permettre de tracer dans le mortier frais séparant chaque pierre, un trait, à l'aide d'un instrument quelconque (tranchant de la truelle, bâtonnet, morceau de fer) afin d'affirmer géométriquement les joints verticaux et les lignes d'assises horizontales. (...) Il apparaît, bien sûr, que ce tracé a posteriori des joints permettait aux tailleurs de pierre de simplifier leur tâche, et dans bien des cas, la disparition du mortier de jointoiement ou de rejointoiement (suivant qu'il est apposé entre chaque pierre durant la construction ou rajouté ensuite depuis l'extérieur) fait apparaître une grande médiocrité dans la taille des moellons. Cf ADAM (J.-P.), ibid.p. 150.
  • 12. La forte saillie de ces impostes avait soutenu, lors de la construction, les cintres de bois qui servirent à assembler les voussures.
  • 13. Diamètre : 5,41 m. Ces mesures sont données par C. Lefebvre. Le croquis de Doell donnait des entraxes, et donc des diamètres, différents.