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Le contexte historique

Il serait commode, pour trouver des antécédents à la statuaire colossale1, de remonter à la statue de Mercure que le sculpteur grec Zénodore avait réalisée pour les Arvernes au sommet du Mont Ventoux. Elle aussi était en bronze, et sans doute construite comme la statue de Millet, à l’instar du célèbre Colosse de Rhodes. Il existait cependant un précédent contemporain que le sculpteur et l’empereur ne pouvaient ignorer.

La construction du Monument d’Hermann (Hermannsdenkmal) avait débuté en 1841 dans la forêt de Teutberg où, en 9 ap. J.-C., le chef chérusque Arminius avait anéanti trois légions romaines commandées par Varus. En élevant ce monument, la Prusse entendait faire d’Arminius son héros national et nourrir ainsi les projets pangermanistes dont Bismarck s’était fait le champion. Avec ses 24,82 m de hauteur, la statue prussienne est plus monumentale encore que celle de Napoléon III ; elle se dresse en outre sur un socle de 28,62 m, soit une hauteur totale de 53,44 m. Jusqu’à l’inscription du Monument à Vercingétorix qui n’est pas sans évoquer celui d’Arminius, sur lequel on peut lire : Deutsche Einigkeit, meine Stärke - meine Stärke, Deutschlands Macht2 Ainsi, bien qu’il n’ait été achevé qu’en 1875, le Monument d’Hermann constituait une référence pour celui de Vercingétorix. Et en Prusse, qui plus est !

Car à l’époque, la Prusse représentait le danger principal pour la France. On craignait une invasion prussienne, quoique cette éventualité fût sans véritable fondement. Par contre, les visées pangermaniques de Bismarck étaient bien réelles. Il voulait restaurer le Saint-Empire romain germanique et placer à sa tête la dynastie des Hohenzollern, avec Guillaume Premier, roi de Prusse. Bismarck n'hésita pas à proposer un candidat prussien pour le trône d’Espagne, qui était alors vacant. La situation géo-politique aurait été catastrophique pour la France, puisqu’elle aurait été, comme sous Charles-Quint, entourée de toute part de possessions allemandes.
Le Monument à Vercingétorix fut conçu dans ce climat politique. C'est pourquoi le socle en est creux, lui aussi ; il renferme un escalier en colimaçon qui descend à l’intérieur de la colline et donne sur plusieurs salles assez vastes. Là se réunissait une société secrète qui complotait à l’élimination de Bismarck et projetait de reprendre les territoires allemands conquis par le Directoire et Napoléon Ier3. On y entretenait même le secret espoir de pousser jusqu'à Berlin et d’abattre l’essor de la Prusse.

  • 1. Ces statues monumentales étaient dans l’air du temps. Le sculpteur Auguste Bartholdi s’en fit une spécialité. Sa statue de La Liberté éclairant le monde, dont l’État français lui confia le projet en 1871, reprenait la technique des plaques de cuivre martelées fixées sur armature métallique employée par Millet.
  • 2. C'est-à-dire L'unité allemande (est) ma force - ma force (est) la puissance de l'Allemagne.
  • 3. Roer, Sarre, Rhin-et-Moselle et Mont-Tonnerre.

Référence à citer

Marc Heilig, Dans l’ombre de Vercingétorix, archeographe, 2018. https://www.archeographe.net/Dans_l_ombre_de_Vercingetorix