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L'armement

Henri Bouchard a aussi détaillé une partie de l’armement. Certaines armes, comme le pistolet Ruby ou le couteau de tranchée, peuvent être ici supposées cachées par le manteau. Mais l'armement comprenait aussi des outils (cisaille, hachette, serpe, pelle-pioche...) qui n'ont été représentés ni sur le Poilu de Maizières ni sur celui de Metz, sans doute pour ne pas surcharger la statue.

Le poilu avait généralement trois cartouchières en cuir ; chacune pouvait contenir cinq lots de huit cartouches, soit 120 pièces en tout. On en voit deux, à gauche et à droite de la boucle du ceinturon auquel elles sont attachées grâce à deux passants ; la troisième, dans le dos, n'apparaît pas sur la statue à cause des objets que porte le soldat. Afin d'en reporter en partie le poids sur les épaules, ces cartouchières sont aussi fixées aux bretelles de suspension1 par un anneau de métal.

Contre le flanc droit du poilu est appuyée son arme principale, le fusil Lebel modèle 1886, adopté par l'armée française en 1887 et utilisé par l'infanterie durant toute la Première Guerre mondiale et au delà. Il doit son nom au colonel Nicolas Lebel, qui avait participé à la commission exigée en 1886 par le Général Boulanger, alors ministre de la Guerre, en vue de la création d'une nouvelle arme portative. Le fusil Lebel présentait des innovations2, mais aussi bien des imperfections en comparaison de ses concurrents3. Ses défauts étaient connus dès avant l'entrée en guerre mais il ne fut remplacé par le fusil Berthier que lentement à partir de 1915. Les soldats entrèrent donc dans le conflit avec des fusils Lebel, et c'est de ce modèle que sont pourvus nos deux poilus : le galbe de l'arme, bien différent du Berthier à l'endroit de la gâchette, ne laisse aucun doute sur la statue de Metz, qui est à cet égard plus précise que celle de Maizières.

A gauche, le soldat porte une épée-baïonnette, que les poilus avaient surnommée « Rosalie ». Dans son fourreau, elle est fixée au ceinturon par un porte-baïonnette en cuir, mais aussi, toujours dans le souci de répartir le poids, aux bretelles qui portent les cartouchières. Le sculpteur a choisi de la représenter avec son quillon, un élément qui caractérisait la garde de ce type d'arme depuis fort longtemps. Sans doute est-ce la raison de sa présence sur nos statues puisque ce quillon fut supprimé durant la Grande Guerre parce qu'il risquait de se prendre dans les broussailles ou les barbelés.

Aux pieds du soldat, à gauche, se trouve une pelle-bêche de tranchée, que l'on peut aussi ranger dans cette catégorie car elle faisait une arme d'appoint redoutable lorsqu'elle était aiguisée. Elle est pourvue de sangles : celles du bas la protègent ; celle du haut maintient une toile de tente, comme on l'a vu précédemment. Le sculpteur les a représentées avec précision sur les deux statues, mais avec un souci du rendu beaucoup plus fort sur celle de Metz.

Au sol, à droite, des grenades complètent cet arsenal. La grenade avait presque disparu de l'armement mais revint avec la guerre de tranchées car sa trajectoire courbe, contrairement au tir tendu d'un fusil, permettait d'atteindre les hommes qui s’y terraient4. L'équipement de campagne prévoyait six grenades. Celles du Poilu de Maizières sont peut-être de deux modèles. On reconnaît bien une grenade à main, ovoïde, en fonte, à quadrillage en fort relief (Type F1) ; les objets placés au dessus pourraient être des grenades à fusil VB, du nom des inventeurs, les ingénieurs Viven et Bessières, mais rien n'est moins sûr5. Sur la statue de Metz, le sculpteur a conservé la première et ajouté une grenade Foug, un autre type de grenade à main que les poilus appelaient grenade « citron » en raison de sa forme.



  • 1. Ces bretelles, comme les cartouchières, furent d'abord en cuir noir, puis, à partir de 1914, en cuir fauve.
  • 2. C'est un fusil à répétition (10 cartouches) de petit calibre, dont la finition est excellente et l'entretien facile. Ses cartouches utilisent la poudre blanche (poudre B), plus performante que l'ancienne poudre noire, ce qui leur donne une grande portée.
  • 3. Il est surtout moins performant quant la vitesse de tir, principalement parce qu'il fallait charger le magasin cartouche par cartouche.
  • 4. Au début de la Première Guerre mondiale, le soldat ne disposait que de « pétards-raquette », un tube de métal contenant 100 gr d'explosif fixé sur une planchette de bois ; la mise à feu se faisait par percussion. L'armée allemande utilisa des grenades à manche avant les Français. L'équipement du poilu, dans ce domaine comme dans bien d'autres, ne se fit que progressivement. Cf. le site http://www.onnepassepas.fr qui montre des « pétards-raquette » et les autres types de grenades utilisées par les soldats français durant la première Guerre mondiale.
  • 5. Comme on le verra plus loin.

Référence à citer

Marc Heilig, Frères d'armes, archeographe, 2020. https://www.archeographe.net/freres-d-armes