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Les grandes fresques de la nef et du chœur

D’ouest en est, une succession de grandes scènes orne les plafonds de la nef, la croisée du transept et le chœur. Ces fresques consacrent dès l’entrée la majesté de l’axe principal de l’édifice. Celles des trois travées et de la croisée sont encadrées de médaillons qui meublent les trompes des voûtes.

Au-dessus de l’orgue : Sainte Cécile jouant de l’orgue avec des anges musiciens.
Au centre de la scène, sainte Cécile est assise au clavier de l’orgue1. Un grand ange occupe la partie droite ; il semble danser mais son activité reste malaisée à définir exactement. A gauche, un ange joue du violoncelle. La scène est parsemée d’angelots qui chantent ou jouent de divers instruments (trompette, harpe, violon, flûte traversière, cithare...).

1ère travée : Martyre et montée aux Cieux de saint Maurice.
La fresque comprend deux scènes. Le martyre lui-même, dans la partie inférieure, et la montée aux Cieux au registre supérieur. Saint Maurice commandait la Légion thébaine, que Maximien2 fit venir d’Égypte à Agaune3 ; elle était composée de 6600 hommes, tous chrétiens. L’empereur les fit massacrer en 286 pour désobéissance. L’événement est relaté dans deux récits hagiographiques médiévaux, la Passion d’Eucher et la Passion anonyme4.

Saint Maurice, représenté en costume de légionnaire, n’est pas ici représenté avec la peau sombre, comme c’est souvent le cas, particulièrement en Allemagne5. Il est à genoux ; derrière lui, le bourreau, armé d’un grand sabre, s’apprête à le décapiter. Le martyre a déjà commencé car on voit les cadavres des suppliciés et leurs boucliers ornés d’une grande croix rouge. Le supplice s’accomplit devant l’empereur, qui est assis sous un dais à gauche. Le peintre semble avoir choisi de suivre le récit de la Passion anonyme. A droite, en effet, se dressent un chef militaire et des prêtres du culte païen, qui est symbolisé par la statue de Jupiter accompagné de l’aigle en arrière-plan.

Comme nous l’avons dit, la partie supérieure de la fresque montre la montée aux Cieux de saint Maurice. Couvert d’un ample manteau pourpre, il se tient sur des nuées célestes, environné d’anges qui brandissent palmes et couronnes de fleurs. L’assemblée des saints fait cercle autour de lui et le Christ en gloire l’accueille, appuyé à sa croix.

2e travée : Rencontre de saint Benoît et de Totila, roi des Goths.
Pour mettre saint Benoît à l’épreuve, Totila se rendit au monastère du Mont Cassin et, chargeant son écuyer de prendre sa place, se mêla aux membres de sa suite. Mais le saint ne fut pas dupe et prédit au souverain sa prochaine défaite6.

La fresque, dans une composition savante, donne une évocation fantaisiste du monastère ; les éléments d’architecture ouvrent au centre une perspective devant laquelle se déroule la rencontre du saint et du roi. Le jeu des postures donne à la scène un mouvement que le pittoresque accentue encore, en particulier dans l’escorte de Totila.

3e travée : Glorification de saint Benoît et propagation de son ordre sur tous les continents.
En une sorte d’apothéose, la gloire de l’ordre bénédictin apparaît en trois registres : en haut, moines et moniales, au milieu, personnalités éminentes de l’ordre, avec saint Benoît au centre. Les figures symboliques des continents sont en dessous. En réalité, peut-être vaudrait-il mieux parler de régions du monde selon les conceptions de l’Antiquité plutôt que de continents. Car si l’on peut reconnaître l’Inde, représentée par un Noir et un éléphant, l’Europe par une femme et un cheval, l’Asie par un homme et un chameau et l’Afrique par un Noir et un lion, on est surpris de ne pas voir figurer le Nouveau Monde, cette Amérique qui était déjà connue à l’époque de la réalisation des peintures d’Ebersmunster.  

À la croisée et au chœur : la Vierge Marie est représentée dans l’exaltation de sa montée au Ciel. Cette Assomption , que l’on doit à Joseph Mages, est le chef-d’œuvre d’Ebersmunster. Ce peintre remarquable est aussi l’auteur des trois peintures qui se succèdent au plafond du chœur : La Foi, l’Espérance et la Charité, Vision de l’Agneau de l’Apocalypse et La Sainte-Trinité à l’abside. Son art délicat sait user, parfois avec audace, de la palette du style baroque : trompe-l’œil et perspectives, postures et mouvement, couleurs et drapés…

Au transept Nord : La Sainte Famille.
À ces grands tableaux il faut ajouter celui de la Sainte Famille à la tribune du transept nord. Dans une image touchante, Jésus donne la main à ses parents, Marie à gauche et Joseph à droite. La scène est surmontée par une représentation de Dieu le Père.

  • 1. Elle est malheureusement cachée par un élément décoratif du buffet installé en 1732 par Silbermann.
  • 2. L’empereur Maximien Hercule partagea le titre d’Auguste avec Dioclétien de 286 à 305.
  • 3. Aujourd’hui St-Maurice, en Suisse.
  • 4. Ces deux récits diffèrent essentiellement par la raison donnée au massacre. La Passion d’Eucher, évêque de Lyon au milieu du Ve s., place l’évènement dans le contexte de la grande persécution de Dioclétien : les légionnaires chrétiens refusent de persécuter les chrétiens d’Agaune ; dans la Passion anonyme, le prétexte est le refus de sacrifier aux dieux païens. Maximien aurait d’abord ordonné la décimation puis, devant le renouvellement de l’insubordination de la légion, au massacre de tous les légionnaires et de leurs chefs, Maurice, Exupère et Candide. Environ 80 ans après cet événement, l’évêque d’Octodure (Martigny) Théodule aurait inhumé les restes des martyrs dans une chapelle funéraire, à l’endroit où devait s’élever au VIe s. l’abbaye St-Maurice.
  • 5. La Légion thébaine était originaire de la Thébaïde, dans le sud de l’Égypte. Cela explique que l’iconographie ait donné à saint Maurice les traits d’un Noir. Ces soldats auraient été transférés par Maximien en Italie, puis dans la région d’Agaune.
  • 6. L’empereur byzantin Justinien voulait reprendre l’Italie, alors sous l’emprise des Ostrogoths ; son général Bélisaire prit leur capitale Ravenne et vainquit leur roi Vitigès en 540. Après la disparition de ses concurrents, Totila fut élu roi des Ostrogoths en 541. Il suivit une politique avisée : il se présentait comme le défenseur de la romanité face à l'oppression étrangère et libéra les esclaves des grands domaines. Il chercha aussi à se rapprocher de l’Église et, selon Grégoire le Grand, aurait rencontré saint Benoît au monastère du Mont-Cassin. Lors de cette entrevue, qui fait l’objet de la fresque d’Ebersmunster, l’abbé lui aurait reproché sa cruauté et lui aurait prédit sa défaite. En effet, après d’indéniables succès, Totila fut défait par la général byzantin Narsès en 552. La mort de leur roi ouvrit le déclin des Ostrogoths dans la péninsule.

Référence à citer

Marc Heilig, Les fresques de l'église d'Ebersmunter, archeographe, 2023. https://www.archeographe.net/fresques_eglise_ebersmunter