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Les jardins de l’Esplanade

Après la victoire de 1918, Metz, naguère sous l’emprise allemande et désormais de retour à la France, devait être la première ville à élever une statue en l'honneur du Poilu Libérateur1.

Le démantèlement de l'imposante Citadelle2 et de ses abords, à partir de la fin du XVIIIe s., libéra de vastes terrains, sur une partie desquels, du côté du Palais de Justice, la ville aménagea un jardin agrémenté d'arbres. Les travaux avaient duré plus de vingt ans : l’Esplanade, avec l’étendue que nous lui connaissons, ne fut inaugurée qu’en 1816. Côté Moselle, le jardin rejoignait le rempart par un glacis en pente douce car il occupait l’ancien fossé de la forteresse, désormais comblé : la gravure de la Revue Lorraine Illustrée, d’après une lithographie de Deroy, montre que la promenade et le jardin Boufflers sont à peu près au même niveau3. La colline de la Citadelle, par contre, bien qu’on l’eût aplanie, formait toujours une forte dénivellation avec le rempart de la ville, comme on peut encore le voir de nos jours. En 1861, lors de l’Exposition Universelle4, les installations de la place Royale se prolongeaient sur l’Esplanade par une exposition d’horticulture. Hélas, quelques années plus tard, en 1870, l’endroit était envahi par les tentes et les wagons de l’hôpital dressé à la hâte pendant le siège des armées prussiennes.

 

Illustrations :

- La Citadelle de Metz sur le plan de 1781. Bibliothèque Nationale
- La terrasse de l'Esplanade et le Jardin Bouflers vers 1850. D'après la lithographie de Deroy. La Revue Lorraine Illustrée
- L'Exposition universelle de Metz sur la Place Royale et l'Esplanade. Carte postale de l'époque
- Plan de Metz de 1903. Bibliothèque Nationale
- Plan de Metz de 1903. Détail de l'Esplanade, de la Place Royale et du quartier de la Citadelle. Bibliothèque Nationale


La défaite de la France en 1871 et l’annexion qui s’ensuivit avaient mis sous le joug allemand l’Alsace et une partie de la Lorraine, et la ville de Metz en particulier. Lorsqu'il monta sur le trône, en 1888, l'Empereur Guillaume II accéda au désir des Messins d'étendre la ville au delà des remparts, ce qu'avaient toujours refusé Guillaume Ier et Bismarck. Il confia les travaux à Conrad Wahn, l'architecte de la ville. Celui-ci conçut en 1902-1903 un plan d’urbanisation dont l'idée maîtresse était de faire de Metz une ville pittoresque, selon les théories que l'architecte autrichien Camillo Sitte avait mises en œuvre à Vienne. Bien que ces transformations aient avant tout concerné la Ville Nouvelle, elles allaient toucher la cité tout entière. Dans cette ville-jardin, l'Esplanade prenait alors tout son sens car elle s'ouvrait sur le beau paysage des côtes de la Moselle. L’espace fut remodelé en utilisant judicieusement la déclivité entre la colline de la Citadelle et le rempart qui, à cet endroit, resta en place5. Il fut simplement abaissé, créant ainsi la grande étendue plane de l’actuel boulevard Poincaré.

La terrasse du parc de l'Esplanade fut dotée d'une balustrade d’où l’on jouit d’un admirable panorama sur un bras de la Moselle, l’île du Saulcy et le Mont Saint-Quentin. Ce belvédère surplombe le terre-plein de l'ancien rempart, que l'on gagne par deux escaliers latéraux. La paroi, sous la terrasse, fut creusée de trois grottes disposées en arc de cercle ; elles sont pourvues de fontaines à rocaille et de jets d'eau et s'ouvrent sur un bassin semi-circulaire. Ces fontaines de l’Empereur Guillaume, Kaiser Wilhelm Brunnen selon leur dénomination d’alors, furent rebaptisées après 1918 Nouvelles fontaines de l’Esplanade, en vertu de la volonté de faire disparaître de la ville les marques du pouvoir allemand. Elles constituent aujourd'hui encore un des plus beaux sites de la ville. L'Esplanade est complétée par le petit jardin Boufflers, à l'arrière du Palais de Justice ; il donne lui aussi sur le boulevard par des escaliers de part et d’autre d’une fontaine.

 

Illustrations :

- Les Kaiser Wilhelm Brunnen. Carte postale du début XXe s.
- Le belvédère de l'Esplanade. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines de l'Esplanade. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines de l'Esplanade. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines de l'Esplanade. Photo Marc Heilig
- Brunnen am Prinz Friedrich Karl Denkmal. Carte postale du début XXe s.
- Fontaine du Jardin Bouflers. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Bouflers. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Bouflers. Photo Marc Heilig



 La balustrade et les fontaines sont ornées de bas-reliefs fantastiques, chauves-souris, animaux et monstres aquatiques, génies des eaux… Ils couvrent jusqu’aux roches couvertes de mousses à l’intérieur des grottes. Cette composition suit peut-être un schéma directeur qui nous échappe aujourd’hui : à la fontaine du jardin Boufflers, par exemple, les scènes burlesques de la danse des grenouilles et de leur chorale se rapportent certainement à un conte ou à une légende ; elles sont sans doute en rapport avec celle qui, aux grandes fontaines, montre des elfes autour du roi des grenouilles. Ces sculptures et les jeux d’eau donnent à la promenade un charme romantique qui sied bien à la ville et s’accorde parfaitement aux façades classiques du Palais de Justice6. Tout cet ensemble paysager, que prolongent les jardins qui descendent jusqu’à la rivière, est planté d'arbres majestueux et de parterres de fleurs.

 

Illustrations :

- Esplanade. Pilier. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Chauve-souris. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Chauve-souris. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Pilier. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Monstre marin. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Banc. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Bas-relief du banc. Photo Marc Heilig
- Esplanade. Bas-relief du banc.  Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Décor aquatique. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Décor aquatique. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Poisson et homards. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Décor aquatique. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Décor aquatique. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Le roi des grenouilles. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Poissons. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Génie des eaux. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Monstre marin dans une des grottes. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Bas-relief aquatique. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Pilier. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Écrevisse. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Écrevisse. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Grenouille. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Grenouille. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Grenouille. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Poisson. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Poisson. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Poisson. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Salamandre. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. Salamandre. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. La Danse des grenouilles. Photo Marc Heilig
- Fontaine du Jardin Boufflers. La Chorale des grenouilles. Photo Marc Heilig


 

Une autre partie de l’ornementation sculptée de ces fontaines rappelait aux Messins qu’ils étaient à présent assujettis au pouvoir impérial allemand. Au sommet des arcs des grottes, des bas-reliefs évoquaient la puissance militaire, économique et agricole de l’Empire. Ils étaient associés aux aigles impériales qui, comme partout dans la ville, furent effacées après 1918 et remplacées par celles de Metz et de la Lorraine7.

 

Illustrations :

- Grandes fontaines. La guerre et les armes de Metz. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. Le commerce et l'écusson vide. Photo Marc Heilig
- Grandes fontaines. L'agriculture et les armes de Lorraine. Photo Marc Heilig


Cette volonté de propagande marquait de son empreinte l'aménagement urbain dans son ensemble car on y avait aussi prévu les statues monumentales des représentants du nouveau pouvoir : dans le Jardin Boufflers, la statue en pied du Prince Frédéric-Charles, qui avait conduit le siège de la ville en 1870 et, à l'extrémité de l'Esplanade, celle de Guillaume Ier. Toutes deux faisaient face au Mont Saint-Quentin et à ses forts, la défense de la ville qu’elles semblaient défier8. L'Empereur était majestueusement représenté sur un socle de granit noir, à cheval et coiffé du célèbre casque à pointe. Il se dressait juste devant la balustrade9. C’est de cet endroit précisément que nous allons parler.

 

Illustrations :

- Prinz Friedrich Karl Denkmal. Carte postale du début XXe s.
- Kaiser Wilhelm Denkmal. Carte postale du début XXe s.
- Kaiser Wilhelm Denkmal. Blick nach dem St. Quentin. Carte postale du début XXe s.


  • 1. La référence sur le sujet est l’article de Jean-Claude JACOBY, Le Poilu Libérateur, l’œuvre messine du sculpteur Henri Bouchard. Cette étude a fait l'objet d'une communication lors de l'assemblée générale du Club marangeois d'histoire locale de Marange-Silvange, le 12 mars 1999.
  • 2. La forteresse de la Citadelle, construite entre 1556 et 1562, couvrait l’espace compris aujourd’hui entre la rue Winston Churchill et le Palais de Justice au nord, le boulevard Poincaré (rempart) à l’ouest, l’avenue Joffre et la Porte Serpenoise au sud, et l’avenue Robert Schumann et la place de la République à l’est. A la fin du XVIIIe s., la Citadelle n’avait plus d’utilité mais la démanteler aurait coûté si cher qu’on en repoussa longtemps les travaux. On s’y résolut enfin lorsque le bruit courut que Louis XVI envisageait de s’y réfugier.
  • 3. Cf. Jean-François TRITSCHLER, L’hôtel du Gouvernement, actuel Palais de Justice de Metz, Bull. de l’Association Renaissance du Vieux Metz et des Pays Lorrains, N° 188, Juin 2018, p. 6-32. La partie de la ville qui nous occupe ici a été considérablement bouleversée. Pour comprendre ces modifications, il faut garder à l’esprit que le rempart de la ville et la Citadelle sont deux choses bien distinctes.
  • 4. Après Londres (1851), New York (1853) et Paris (1855), Metz fut la quatrième ville à accueillir l’Exposition universelle, de mai à septembre 1861. Cet événement, d’une grande importance pour la ville, nécessita la construction de bâtiments pour les différentes manifestations. Celles-ci concernaient les domaines de l’agriculture, de l’industrie, des beaux-arts… La place Royale, aujourd’hui place de la République, qui avait été aménagée en 1802 sur des terrains de l’ancienne Citadelle, offrait un large espace pour les accueillir. L’exposition d’horticulture, sous l’égide de l’Impératrice Eugénie elle-même, se tint à l’Esplanade et au Jardin botanique, où les serres furent édifiées à cette occasion.
  • 5. L’extension de la ville et la création de la Ville Nouvelle nécessitaient la destruction de la majeure partie de la muraille médiévale. Plusieurs tronçons en furent cependant conservés, en particulier à l’ouest, le long de la Moselle, où elle fut réaménagée.
  • 6. Pour accentuer encore cette harmonie, on a utilisé pour les fontaines la pierre de Jaumont qui avait servi pour le Palais de Justice. C’est un fait remarquable car les architectes et les sculpteurs de cette période d’annexion ont préféré le grès à ce beau calcaire doré caractéristique de l’architecture française de la ville.
  • 7. Le troisième écusson est resté vide.
  • 8. Outre ces deux statues monumentales, il faut encore mentionner celle de l’empereur Frédéric III, fils de Guillaume Ier et père de Guillaume II, représenté à cheval sur l’actuelle place Raymond Mondon. Guillaume II, quant à lui, avait son effigie au nouveau portail de la cathédrale, où il prêtait ses célèbres moustaches au prophète Daniel.
  • 9. De nombreuses cartes postales de l’époque illustrent ces fontaines et ces statues.

Référence à citer

Marc Heilig, Le Poilu de Metz, archeographe, 2018. https://www.archeographe.net/Le-Poilu-de-Metz