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Le Poilu de Hannaux

Quelle triste fin pour ce glorieux symbole de la victoire ! Il aurait fallu l’immortaliser dans le bronze. Or le Souvenir Français y avait pensé et avait obtenu l’accord du maire Victor Prevel. Fin janvier, la Ville de Metz fait paraître dans la presse parisienne un avis de souscription pour une statue de bronze, elle aussi réalisée par Henri Bouchard ; l’inauguration est prévue pour le 19 novembre 1919. Le patriotisme des Messins plaît tant au sculpteur qu’il conçoit même un projet de médaille.

En réalité, le maire entend privilégier Emmanuel Hannaux (1855-1934), un sculpteur originaire de Metz. La Guerre de 1870 avait interrompu sa formation à Strasbourg et, lors de l’annexion, il lui avait fallu quitter sa ville natale puisqu’il refusait d'adopter la nationalité allemande. Il avait d’abord suivi l’enseignement de l’École de modelage et de sculpture de Nancy puis avait rejoint en 1876 l’École des Beaux-Arts de Paris. Il y avait été l'élève d’Auguste Dumont, de Gabriel-Jules Thomas et de Jean-Marie Bonnassieux. Hannaux avait obtenu le deuxième grand prix de Rome en 1880 pour L'Enfant prodige. Son œuvre avait été couronnée par le Salon de Paris en 1884, 1889, 1894 et 1903, et par l’Exposition universelle de Paris en 1900.

Hannaux jouit alors d’une notoriété certaine en Moselle car on doit à son talent les émouvantes statues du monument français de Noisseville, inauguré le 3 octobre 1908 en commémoration des combats de la Guerre de 18701. Sa candidature bénéficie en outre du soutien de son frère, qui siège au conseil municipal de Metz. On organise donc un simulacre de concours. Bouchard sent qu’on cherche à l’évincer et rappelle au maire qu’on s’est servi de son nom pour la souscription ; en refusant de participer au concours, il permet à la ville de choisir son concurrent2. Ainsi, Le 13 février 1920, la commission municipale des monuments peut-elle confirmer que l’œuvre de l’artiste messin sera dressée à l'emplacement de la statue de Guillaume Ier.

Le Poilu Libérateur de Hannaux est inauguré le 5 juin 1922 par Raymond Poincaré, alors Président du Conseil, le Maréchal Joffre et le Maréchal Foch. Ce mémorial, fort différent de celui qu’avait projeté Bouchard, comprenait deux figures de bronze, une composition qu'Emmanuel Hannaux avait déjà utilisée pour le Monument de Noisseville. Le soldat se dressait au sommet d’un haut socle, qui remplaçait celui de la statue de Guillaume et au pied duquel la France Victorieuse ouvrait largement les bras comme pour accueillir ses enfants. Le Poilu était un homme jeune. Le sculpteur avait choisi de le représenter dans une attitude tendue, celle du soldat dans l'attente de l'ennemi. Ce monument sera détruit en 1940 par les Allemands, qui feront fondre les statues.

 

Illustrations :

- Le Monument de Noisseville. Photo Marc Heilig

- Metz. Fontaine monumentale bordant la terrasse de l'Esplanade. Carte postale après 1922. La statue du Poilu est celle de Hannaux

- Metz. Le "Poilu" à l'Esplanade. Carte postale après 1922. Le monument de Hannaux

- Metz. Esplanade. Autrefois - Aujourd'hui. Carte postale après 1922. Le monument de Hannaux est clairement indiqué par la mention : Emmanuel Hannaux Sculpteur.



  • 1. Cf. Marc HEILIG, « N’oubliez pas les morts fidèles ». Monuments commémoratifs, archeographe 2014.
  • 2. L’attitude de Prével dans cette affaire fut fortement critiquée, ce qui le poussa vers la démission.

Référence à citer

Marc Heilig, Le Poilu de Metz, archeographe, 2018. https://www.archeographe.net/Le-Poilu-de-Metz