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Le saint tutélaire de l'église

Statue de saint Privat. Né à Coudes, près de Clermont, saint Privat aurait été envoyé en Gévaudan par saint Austremoine. Il était évêque de Mende sous Valérien et Gallien (253 – 260)1. Albert Bosch raconte son martyre avec vivacité2. Laissons la parole à ce passionnant historien de Montigny :
Au début de la deuxième moitié du IIIe siècle (entre 250 et 260) Chrocus, chef d'une peuplade germanique, poussé par les mauvais conseils de sa mère, entreprit une expédition dévastatrice à travers la Gaule. Ne rencontrant aucune résistance sérieuse, il arriva jusqu'au Massif Central, détruisit en passant le grand temple des Arvernes (Auvergnats) élevé sur le Puy-de-Dôme et se dirigea ensuite vers le pays des Gabales (le Gévaudan d'aujourd'hui). Épouvantés, les habitants se réfugièrent dans la forteresse de Grèzes et la mirent tellement bien en état de défense que Chrocus ne put s'en emparer.
Un jour, parcourant la campagne environnante, les soldats de Chrocus, païens et féroces comme leur chef, découvrirent l'évêque Privat dans une caverne de la montagne au-dessus de Mende (Lozère), où il se retirait pour jeûner et prier. Il était le fléau des usuriers, affameurs du peuple. Il employait les revenus de son église à constuire et remplir des magasins pour assurer la subsistance des pauvres et, le cas échéant, épargner à son peuple les souffrances de la famine, mesures que lui inspiraient sa foi ardente, sa piété profonde et une charité agissante.
Les soldats se saisissent de lui et le somment de leur montrer un accès facile au castrum imprenable. Refus formel ; première bastonnade. Ils lui demandent alors d'engager les assiégés à leur ouvrir les portes de la forteresse : proposition rejetée avec fermeté. Nouvelle flagellation du saint évêque. Furieux et déchaînés, les soldats veulent le contraindre à sacrifier aux faux dieux. "Je me garderai bien de faire ce que vous demandez de moi ; ce serait indigne d'un évêque", fut sa réponse. Alors les soldats le torturent de nouveau, lui brûlent le corps avec des torches et l'abandonnent inanimé. Le lendemain, ils lèvent le siège, tandis que les chrétiens s'empressent auprès de leur évêque râlant. Quelques jours après, la mort l'enlevait à leur admiration et à leur reconnaissance. C'était le 21 août 257 ou 262. Quant à Chrocus, il devait bientôt être pris et exécuté à Arles. Son peuple disparut de l'histoire.
Martyr et héros national, Privat fut enterré auprès de son ermitage à Mende. Au temps de Grégoire de Tours (538-593), il y avait une grande basilique sur son tombeau et la renommée de l'évêque qui n'a pas voulu sacrifier aux idoles, ni livrer ses brebis aux barbares s'était répandue fort loin.

Un peu après 632, Dagobert opéra la translation des reliques de saint Privat à l'abbaye de Saint-Denis. Fulrad, abbé de ce monastère, fonda dans le diocèse de Metz le prieuré de Salonnes3 et le dédia à la vierge Marie, à saint Privat et à saint Hilaire. C'est ainsi que les reliques de saint Privat parvinrent dans notre région. On sait qu'elles se trouvaient à Salonnes en 7774. Leur arrivée dût être un événement d'importance et le diocèse de Metz en tira vraisemblablement un certain prestige. Aussi n'est-il pas surprenant de rencontrer des toponymes « Saint-Privat » sur le territoire de l'évêché.

L'église et le hameau de Saint-Privat

L'église Saint-Privat de Montigny est mentionnée au IXe siècle sur une liste des processions du Carême comme la 34e station et, au XIe, pour le troisième jour des Rogations5. L'édifice se situait à gauche sur l'ancienne voie romaine lorsqu'on sortait de Metz6. Ce fut plus tard la « route d'Augny », et c'est aujourd'hui la rue Franiatte. A l'arrière des numéros 48-52 de cette rue, entre les rues Saint-Exupéry et des Volontaires, subsistent les vestiges de cette première église de Montigny-lès-Metz. Ils avaient déjà été identifiés dans les années 19607 et ont été récemment dégagés grâce à la destruction de vieilles bâtisses et à la construction d'un immeuble.

On lit souvent que la plus ancienne mention connue du hameau de Saint-Privat remonterait à l'année 893 : il apparaîtrait, sous le nom de « Riwata », dans une liste de 118 noms de biens de l'abbaye de Prüm. Ch.-E. Perrin s'oppose à cette thèse avec des arguments convaincants8. En effet, outre qu'il n'y a guère de relation étymologique entre « Riwata » et « Saint-Privat » et qu'on voit mal pourquoi le nom de notre hameau aurait été ainsi transformé, on ne connaît jusqu'à présent aucun document qui affirme que l'église de Saint-Privat soit passée des possessions de Prüm à celles de l'abbaye de Saint-Clément à Metz.

Or le Pape Innocent II confirme en 1139 la propriété de l'abbaye messine9. Cela sera rappelé à plusieurs reprises. Une charte de 1194 de l'évêque de Metz Bertram mentionne l'église paroissiale de Saint-Privé et ses dépendances : les moines de Saint-Clément ont droit de patronage ; ils doivent choisir et présenter à l'évêque un desservant parmi les membres de leur communauté. Charte de Bertram, évêque de Metz.

Charte de Bertram, évêque de Metz, en l'an 1194 de l'heureux règne d'Henri VI, dit le Cruel, empereur romain germanique10.
Au nom de la Sainte et indivisible Trinité, Bertram, par la grâce de Dieu, évêque de Metz, au Chapitre de saint-Clément pour toujours.
Nous devons témoigner notre bienveillance paternelle à toutes les églises que la Divine Providence à confiées à notre sollicitude et à notre gouvernement ; cependant nous sommes tenus de montrer une dilligence toute spéciale et assurer des revenus dans leurs nécessités à ceux dont nous savons que les revenus et les resources sont plus faibles, et par conséquent qui ont besoin non seulement de nos conseils mais encore de notre aide. C'est pourquoi, chers fils en Jésus-Christ qui,dans le monastère de Saint-Clément sous la règle de la profession monastique, vous êtes mis au service de Dieu, nous, n'ignorant pas la pauvreté de votre maison, compatissant de tout cœur à votre situation, parce qu'au milieu même de cette pauvreté vous assurez nuit et jour le service divin par vos pieuses supplications, avec notre fils Gérard, archidiacre de l'église majeure de Metz, nous sommes d'avis de vous confier l'église paroissiale Saint-Privat avec les chapelles et les dépendances qui relèvent de votre juridiction. Nous les confions à votre charge pastorale avec la possession perpétuelle (et tous les usages y afférant), avec cette réserve cependant que le prêtre qui y sera votre vicaire reçoive avec votre accord et le sien...
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L'archevêque de Trèves Jean Metropolita, puis le pape Célestin II, dans une bulle qu'il adresse à l'abbé Warin, confirment cette donation. Le pape Innocent III le fera de nouveau en 1202.

La région de Saint-Privat sur la carte de Cassini.

On le voit, l'église n'était pas isolée. Non seulement elle avait ses dépendances, mais quelques maisons se groupaient aussi autour d'elle. Campée sur l'éminence du plateau qui s'étend au sud de Metz entre la Moselle et la Seille, l'église était un élément marquant du paysage. Le hameau de Saint-Privat, toutefois, n'a pas l'aspect d'un village-rue, comme souvent en Lorraine. Il est formé de grands domaines ruraux que séparent leurs champs, leurs jardins et leurs vergers12. Les bâtiments se dispersent dans cet environnement campagnard. Ainsi l'église, bien qu'elle soit paroissiale, n'apparaît pas vraiment comme telle.

Saint-Privat sur la carte de Cassini.

Le village devait connaître les dangers de la proximité d'une place forte. Si le siège de 1144 épargna Saint-Privat, son église fut pillée à mainte reprise au XVe siècle. En 1444, Metz est assiégée par le roi de France Charles VII et René d'Anjou, roi de Provence, de Sicile et de Jérusalem. Ils prennent tous les villages autour de la ville et laissent leurs troupes les ravager. Afin d'éviter la progression de l'ennemi, la ville fait détruire les faubourgs méridionaux13. Par cette stratégie de la terre brûlée, elle reste à l'abri des dommages mais elle abandonne les campagnes aux soudards et aux écorcheurs. Les chroniqueurs, comme Jean Aubrion, se font l'écho de ces « horreurs de la guerre » qui se répètent en 1475 et, à deux reprises, en 1490. Entre-temps, les villageois parviennent cependant à subsister, profitant des moments de paix pour reconstruire.

  • 1. On doit ces renseignement à Grégoire de Tours qui, dans son Histoire des Francs, place saint Privat parmi les saint illustres des Gaules.
  • 2. Cf Albert BOSCH, Causeries sur le passé de Montigny-lès-Metz, p. 33, Vingtième causerie.
  • 3. Salonnes, dans le Saulnois, est à quatre kilomètres environ au sud de Château-Salins, au confluent de la Seille et de la petite Seille.
  • 4. Que sont devenues ces reliques par la suite ? Sur le site Internet Église en Lozère du diocèses de Mende (catholozere.cef.fr), on lit qu'un moine nommé Clocbert les fit retourner en Gévaudan. Mais au XVIIe siècle, le chef de saint Privat se trouvait à Salonnes puisque les Suédois le profanèrent.
  • 5. Cf HOLLE Arthur, Ad Basilicas, le quartier des Basiliques au Sablon, Société d'Histoire du Sablon, Arena 3, 1997, p. 113. François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 24.
  • 6. Cette voie, l'une des plus importantes de la Gaule, faisait partie du réseau routier qu'Agrippa réalisa sous Auguste. Elle reliait Metz-Divodurum à Dieulourad-Scarpone.
  • 7. Cf MAZAURIC, Au sujet de deux vestiges historiques messins en voie de disparition ; Mémoires de l'Académie Nationale de Metz, 1969, p. 169-164.
  • 8. L'auteur identifie en particulier les localités concernées. Cf Charles-Edmond ERRIN, Recherches sur la seigneurie rurale en Lorraine d'après les plus anciens censiers, Paris, 1935.
  • 9. Cf François REITEL et Lucien ARZ, Montigny-lès-Metz, 1988, p. 24-25.
  • 10. Henri IV est le fils de Frédéric Ie Barberousse.
  • 11. Traduction par Monsieur Joseph Biss, Frère marianiste.
  • 12. Nous connaissons les noms de ces domaines : Blory, La Grange-Le-Mercier, Horgne-au-Sablon, Montigny, Saint-Ladre.
  • 13. Certains pensent que l'église de Saint-Privat ne fut pas détruite. Cf Abbé LEDAIN, Lettres et notices d'archéologie et de numismatique, Metz, 1869.