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Haguenau dans l'optique de Vauban.

Vauban privilégie un nombre restreint de places fortes bien étudiées et équipées, au détriment de leur nombre qui entraînerait une dispersion des troupes. Il cherche, avec insistance, à imposer cette grande idée au Roi. Il me semble que le Roy n'a que trop de places avancées, s'il en avait moins, de cinq ou six que je sais bien, il en serait plus fort de douze à quatorze mille hommes et les ennemis plus faibles de six à sept mille ; et si cela était, on serait en état de chasser les ennemis de l'Alsace et de les empêcher aisément de rien entreprendre en Flandre. Si nous voulons durer longtemps contre tant d'ennemies, il faut songer à se resserrer. Dix places de moins doivent valoir au Roy trente mille hommes de plus.
Dans son combat contre la multiplication des places fortes, ruineuses en argent et en effectifs, Vauban s'élève en vain auprès de Louvois et même du Roi. Il est contre la construction de Fort-Louis sur la Moder, dans l'île de Giesenheim, qu'il devra construire à cinq lieues en aval de Strasbourg. La fixation de la frontière au nord de l'Alsace par le traité de Nimègue, en 1678, plaît à Vauban car elle correspond aux conseils maintes fois prodigués au Roi : ne conviendrait-il pas que le Roi concentre ses efforts sur la constitution d'une bonne et véritable frontière, avec quelques solides places judicieusement implantées ?

Mur du fossé de la citadelle de Bellecroix à Metz. Il trouve donc trop de forteresses en Alsace-Lorraine et doit faire des choix. En reprenant ses critères déterminants, on comprendra facilement pourquoi Haguenau ne lui paraît pas être un site intéressant à développer.
Vauban considère d'abord la situation générale par rapport à l'ensemble de la région concernée. Haguenau n'est pas sur un axe privilégié pour le passage d'une grande armée. A cette époque, les armées en marche comportaient couramment 50 à 80 000 hommes, 30 000 chevaux, et même davantage. L'immense forêt est plus facile à contourner qu'à franchir, une armée y serait vulnérable et difficile à ravitailler.
Puis il regarde le site lui-même. Vauban a prouvé abondamment que les places les mieux construites et les mieux fortifiées tombaient comme des fruits mûrs pour peu que l'on sache les approcher judicieusement. Il faut alors rendre plus difficile leur approche en utilisant au maximum les cours d'eau et les inondations des abords, se protéger de manière plus efficace des effets de l'artillerie. Les murailles de Haguenau ne résisteraient pas à l'artillerie, elles sont de faible épaisseur et l'ennemi placé sur le plateau de la Redoute qui domine la ville pourrait y envoyer directement des obus en tir tendu.
Vauban s'attache enfin à la géologie et à la nature du sol. Maître dans l'utilisation de l'eau, qui est pour lui de première importance dans la défense rapprochée d'une place, il s'aperçoit vite que le régime très irrégulier de la Moder est impossible à dompter1. Par ailleurs, la vallée étroite et marécageuse de la rivière se prête mal à l'édification d'une véritable forteresse. Les carrières de pierres sont loin. On trouve bien des briques sur place et de quoi en fabriquer, mais la maçonnerie est trop lourde pour le sol marécageux qui a tendance à écarter les fondations. La terre nécessaire à la réalisation de remparts importants manque. En creusant autour de la ville on tombe rapidement sur de l'argile, difficile à prélever et à transporter. Déversoir du mur d'enceinte de la citadelle de Bellecroix à Metz. En conclusion, Haguenau ne présente que des désavantages dans l'esprit de Vauban. Le seul point d'intérêt est le château en ruine, qui servira de carrière de pierres à proximité de la Moder, par laquelle on pourra les transporter jusqu'au chantier de Fort-Louis. Une ordonnance royale prescrit la démolition du château, qui sera démantelé à cet effet en 16882. La ville échappe provisoirement au razement systématique des ouvrages superflus qui pourraient servir à l'ennemi car elle peut abriter des troupes françaises.

  • 1. Vauban avait vu juste : une grande inondation enleva la demi-lune devant la Porte de Wissembourg en 1824.
  • 2. AMH-BB102.